• 2014

    MARS

    GENÈVE

    Du 28 / 02 au 15 / 03
    Théâtre du Grütli
    14 représentations (CH) Réservation

    Les mardi, jeudi, samedi à 19h; mercredi et vendredi à 20h; dimanche à 18h; Relâche le lundi.

    AURILLAC

    18 / 03 - Théâtre d’Aurillac (FR) / 14h30 (Scolaire)
    19 / 03 - Théâtre d’Aurillac (FR) / 20h45 Réservation

    MARSEILLE

    21 / 03 - Théâtre Toursky (Marseille) (FR) / 21:00
    22 / 03 - Théâtre Toursky (Marseille) (FR) / 21:00  Réservation

    DIVONNE-LES-BAINS

    25 / 03 - Esplanade du Lac (Divonne-les-Bains) (FR) / 20:30  Réservation

    EYSINES

    28 / 03 - Théâtre jean Vilar (Eysines) (FR) / 20:30 Reservation
    29 / 03 - Théâtre jean Vilar (Eysines) (FR) / 20:30

    AVRIL

    BAYONNE

    31 / 03 - Scène nationale Bayonne - Sud-Aquitain (Bayonne) (FR) / 20:30
    01 / 04 - Scène nationale Bayonne - Sud-Aquitain (Bayonne) (FR) / 20:30  Réservation

    ARCACHON

    03 / 04 - Théâtre Olympia (Arcachon) (FR) / 20:45 Reservation

    LE BOUSCAT

    05 / 04 - Théâtre Le Bouscat (Le Bouscat) (FR) / 20:30 Reservation 

    VILLENEUVE SUR LOT

    08 / 04 - Théâtre Georges Leygues (Villeneuve-sur-Lot) (FR) / 14:30
    09 / 04 - Théâtre Georges Leygues (Villeneuve-sur-Lot) (FR) / 20:30  Réservation

    CAHORS

    11 / 04 -  Théâtre de Cahors (FR) / 20:30

    PERPIGNAN
     

    22 / 04 -  Théâtre de l’Archipel - Scène Nationale (Perpignan) (FR) / 19:00
    23 / 04 - Théâtre de l’Archipel - Scène Nationale (Perpignan) (FR) / 20:30 réservation

    MAI

    ALBERVILLE

    13 / 05 - Dôme théâtre Albertville (FR) / 20:30 Reservation

    THÔNON-EVIAN

    15 / 05 - Maison des Arts Thônon-Evian (FR) / 20:00
    16 / 05 - Maison des Arts Thônon-Evian (FR) / 14:30 (Scolaire)
    16 / 05 - Maison des Arts Thônon-Evian (FR) / 20:00
    17 / 05 - Maison des Arts Thônon-Evian (FR) / 20:30 Reservation

    BOURG-EN-BRESSE

    20 / 05 - Théâtre Bourg-en-Bresse (FR) / 20:30
    21 / 05 - Théâtre Bourg-en-Bresse (FR) / 19:00  Réservation


    SEPTEMBRE/OCTOBRE

    MONTRÉAL

    Du 03/10 au 30/10
    Théâtre Denise Pelletier Montréal (QC) Reservation
    24 Représentations



    63 REPRÉSENTATIONS
    EN SUISSE, FRANCE
    ET CANADA


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  • Visuel Andromaque avec acteursIl faut imaginer Andromaque. Il faut imaginer cette femme qui, noble et pourtant captive, se dresse face aux tumultes de l’histoire. C’est un souffle qui traverse les siècles et qui, de l’Antiquité à nos jours, ne cesse de nous harceler jusqu’à ce que nous déposions les armes.  Andromaque l’orgueilleuse.  Andromaque, héritière des dieux, dans le fracas d’un monde désacralisé.
    C’est une rencontre singulière qui nous a permis de la croiser après l’étreinte d’Euripide et le baiser soyeux de Racine. Rencontre singulière qui se nomme aussi « aventure théâtrale ». Que lui restait-il à nous dire ? Comment sa solitude pouvait-elle encore faire écho à notre époque ? Comment, enfin, allions-nous la représenter auprès du public pour nous parler d’une actualité qui se caractérise par sa fugacité ? Rien jamais n’est éternel, mais Andromaque, qui vit dans la mémoire d’Hector, l’ignore encore.

    Le spectacle s’intitule Andromaque 10-43. Ce n’est pas une coquetterie qui consisterait à faire mode. Ce 1043, qui plus précisément s’énonce 10 puissance moins 43, correspond au temps de Planck. À cet instant précis de la naissance du monde, peu après le fameux Big Bang, où l’univers s’écarte de l’hypothèse de Dieu pour se résoudre aux lois de la physique et donc à l’inéluctable. Si elle parle d’amour, la tragédie revisitée par Racine ne fait pas l’économie de ce constat-là. Pyrrhus,  Andromaque, Oreste et Hermione sont tous des descendants de Zeus. Enfants du mythe et des dieux de l’Olympe, ils s’en écartent pourtant pour basculer dans l’Histoire. Là où l’on vit et l’on meurt avec la même frénésie, la même violence. Là où les liens qui nous relient au ciel se rompent peu à peu. Ce qu’annonce Racine, c’est la déréliction de l’homme privé de dieu. Et son impuissance à vivre ses passions quand l’étau de la guerre et les exigences du pouvoir le privent de son autonomie. En s’appropriant la tragédie d’Euripide, Racine la met à portée de son temps. La fin de son 17e siècle est alors placée sous le signe d’un pessimisme moral qui succède aux feux des amours courtoises.

    À notre tour, avec le respect qui s’impose, nous convoquons Andromaque pour lui faire goûter les fruits amères de notre époque. On y tue comme on y respire. Et le progrès, cette promesse toujours remise aux lendemains, consacre ce déni de l’autre. Plus nous avons accès au monde, grâce notamment aux nouveaux outils technologiques, plus nous nous acharnons à le détruire. Les flux d’informations auxquels nous sommes soumis favorisent moins la compréhension que la stupeur.  Andromaque est une histoire d’amour et donc, fatalement, de frustration. A aime B qui aime C qui aime D, et ces amours ne sont jamais réciproques. La haine, en revanche, s’épanouit sans rien réclamer en retour. Tandis que tout s’effondre dans le chaos où plongent l’Orient et l’Occident, cette haine se déploie dans ce lieu clos où sont rassemblés les protagonistes de la tragédie. C’est dans ce cœur, cette antichambre fermée à la rumeur, que Racine a planté le décor de son intrigue.

    Comme il nous fallait parler du présent, nous avons ouvert grand les portes. Il s’y engouffre, via les écrans, les réseaux et les smart phones, cette agitation extérieure et cette douleur qu’aucun dieu ne vient apaiser. Certains, qui fréquentent les musées plus souvent que la vie, y verront peut-être une trahison. Oui, nous avons tranché ici, rajouté là. Nous avons saisi ce matériau pour le décrocher des cimaises et le faire retentir sur une scène. Peut-être que la règle des trois unités est parfois malmenée tout comme certaines conventions. Mais c’est qu’il fallait se délester pour saisir Andromaque par la taille et la présenter à un public d’aujourd’hui. Il fallait affirmer, à la suite de Pyrrhus, que cette femme-là mérite notre attention.

    Surtout, il fallait dire que la tragédie n’a rien perdu de sa pertinence. Tandis que l’on massacre et que l’on tue, parce qu’il faut bien affirmer sa puissance et que les marchés imposent leurs lois, l’homme reste cet enfant inconsolable qui oppose sa révolte au silence des cieux.  Avec Andromaque 10-43, c’est donc un souffle que nous tentons de saisir. Des temples de marbre de l’Antiquité aux QG suréquipés du XXIe siècle, il témoigne de notre perpétuelle impuissance à trouver une harmonie avec le monde. De Troie à Bagdad, il balaie les mêmes poussières de vérité et de certitude. Une fois encore, dans ces décombres, tendons l’oreille pour écouter ce que nous dit la fille du roi de Thèbes.

    Lionel CHIUCH
    Dramaturge

     

    Andromaque 10-43 par Olivier Proulx, concepteur vidéo du spectacle…

     

    DRAMATURGIE DES DIFFÉRENTS DISPOSITIFS VIDÉO - MULTIMÉDIA D’ANDROMAQUE 10-43
    UNE PIÈCE SUR NOTRE TRAGÉDIE CONTEMPORAINE, SUR LE POUVOIR ET SES OUTILS DE PROPAGANDE…
    SUR LA SOLITUDE DES ÊTRES FACE À CET ENGRENAGE …



    L’idée de plonger cette tragédie classique dans notre monde du 21e siècle en considérant que Jean Racine serait un auteur de notre époque, nous a fait nous poser de nombreuses questions sur le contexte géopolitique de l’histoire, mais aussi sur notre monde et ses outils de « communication ». La rapidité entre autres avec laquelle une information peut circuler, être déformée et retranscrite à travers nos réseaux montre bien la fragilité d’un monde où le « Tout visible » s’apparente souvent à une forme de manipulation et où l’individu est l’otage d’un système qu’il a contribué lui-même à mettre en place.

    Nous sommes au 21e siècle, une guerre a ravagé l’Orient pendant 10 ans. Une coalition occidentale (Ménélas / Grèce) et orientale (Achille / Epire) a prêté allégeance à un empire oriental (Hector / Troie). Les raisons d’un tel conflit ? Toutes celles qui régissent notre monde et nos états modernes :  le profit, la dépendance aux matières premières, les enjeux géostratégiques, la possibilité d’étendre l’influence occidentale sur un monde oriental souvent perçu comme obsolète. Et dans ce partage sans merci du monde, les Etats s’affrontent, se servant de tous les outils disponibles pour étendre leur hégémonie. C’est ce que feront la Grèce et L’Épire vis-à-vis de Troie, laissant derrière elles des étendues dévastées et une culture meurtrie. N’est-ce pas ce que tout au long de la pièce Andromaque reproche à Pyrrhus ? N’oppose-t-elle pas à ce monde :  sa culture, ses ancêtres et ses valeurs qu’elle ne veut jamais oublier? Deux mondes ici s’affrontent, l’un qui se dit éperdument moderne et un autre qui s’accroche désespérément à son passé.

    Nous sommes ici dans les sphères du pouvoir et de la diplomatie, dans les rouages du système. Les êtres qui y vivent où plutôt qui s’y débattent font partie intégrante de cette mécanique. Ils dépendent tous des enjeux d’un système économique puissant qui domine leurs intérêts propres. Leur langue parlée est une langue commune : l’alexandrin. C’est la langue de la diplomatie, de l’ordre régnant occidental. Elle peut être comparée à la langue anglaise qui aujourd’hui règne dans les sphères mondiales. Depuis plus de dix ans, elle a pris une place prépondérante dans le palais de Pyrrhus. C’est une des conséquences directes de la guerre de Troie et de l’alliance entre Ménélas et Achille. Cette langue dont Pyrrhus et Andromaque – et d’autres peut-être – s’affranchissent parfois par inadvertance ou rébellion, pour retrouver fugitivement au détour d’une réplique leur expression d’origine.

    C’est l’arabe classique qui est la langue-mère de Pyrrhus et d’Andromaque. Elle est le symbole d’une culture forte mais aussi d’une oligarchie intellectuelle, qui ne veut pas se soumettre aux nouveaux maîtres du monde. Pyrrhus fera, entre autres, appel à elle pour mieux atteindre ses desseins vis-à-vis de sa captive.  Andromaque, elle, se réfugiera sans doute dans cette dernière, pour faire appel à ses forces intérieures, mais aussi pour essayer de convaincre et faire plier Pyrrhus. Cette langue « oubliée » permettra l’évocation de leurs racines (car ils descendent tous deux de la même culture et ont les mêmes ancêtres) mais elle sera aussi un moyen pour eux d’essayer de se « parler » autrement. Ils finiront par n’employer que leur langue-mère lors de la dernière scène de l’Acte IV (scène 6) où Andromaque qui aura une prémonition, préviendra Pyrrhus de la dangerosité de la souffrance d’Hermione :

    Andromaque (*) Seigneur, vous entendez. Gardez de négliger Une amante en fureur qui cherche à se venger. Elle n’est en ces lieux que trop bien appuyée : la querelle des Grecs à la sienne est liée; Oreste l’aime encore, et peut-être à ce prix...
    Pyrrhus Le prêtre nous attend. Je sauve votre fils.

    (*) Lors des échanges en arabe classique entre Pyrrhus et Andromaque, il y aura pour les spectateurs la traduction en alexandrin (par un système de sur titrage intégré dans l’espace de jeu).

    Pyrrhus (fils d’Achille) est devenu le maître de l’Épire (sans doute à contrecœur).  A-t-il choisi de faire cette guerre ? N’est-il pas lui aussi piégé dans ce monde ? N’était-il pas au départ un simple prince moudjahidine qui a dû malgré lui, combattre un peuple et une culture qu’il considérait jusque-là comme proches de ses propres convictions ? Être le fils d’Achille ne lui permettait pas de résister à ses inclinations pour la conquête et le pouvoir. Il y a chez Pyrrhus une étonnante similitude avec le personnage de Don Corleone (fils) interprété par Al Pacino dans la trilogie du Parrain de Francis Ford Coppola. Comme Don Corleone, il se retrouve malgré lui embarqué dans ce conflit. Comme lui, il essayera en vain de s’en extraire. Comme lui il possède une maîtrise du pouvoir et en connaît tous les rouages. Et comme lui, il se trouve pris entre ses désirs et ce monde qui le phagocyte et l’empêche de changer.

    Pyrrhus est le pur produit de notre société, il possède et connaît tous les moyens de propagande et de communication. Dans son palais, il a sa disposition entre autres un mur d’écrans qui lui permet de suivre l’évolution du monde (à travers les diverses nouvelles diffusées) et d’y voir les conséquences que provoquent ses positions face au conflit qui l’oppose à son ancien allié la Grèce. C’est un homme qui est en connexion avec son époque, c’est un boulimique d’informations. Il a cette capacité qu’ont certains hommes d’engranger et d’analyser une masse importante d’informations. C’est un homme de pouvoir, de décisions et un grand stratège. Grâce à des caméras de surveillance, il peut suivre tout ce qui se passe dans son Palais et s’immiscer ainsi dans l’intimité des personnes qu’il veut observer,  mais aussi communiquer avec certains interlocuteurs. Son statut de chef de guerre et le monde dans lequel il louvoie lui imposent cette vigilance.

    Mais ce qui reste le plus intéressant dans ce drame qui se déroule devant nous, c’est ce que font les protagonistes des outils qui sont à leur disposition. Pyrrhus, par exemple, ne peut s’empêcher grâce à cela d’épier le moindre mouvement d’Andromaque, jusqu’à la regarder dormir pendant de longues heures et enregistrer ces moments. On ne peut s’empêcher de penser au roman Les Belles endormies de Kawabata. Mais il aime aussi regarder tout ce qui peut lui vider la tête et lui faire oublier durant quelques instants son séisme intérieur. Mais ces outils mis en place par Achille sous les conseils avisés de Phoenix ne sont-ils pas un moyen de mieux le surveiller lui aussi et d’essayer de le contrôler ? Ne dépend-il pas, lui aussi, d’intérêts supérieurs ?

    Et c’est là où tout le sens du travail de l’image à travers ce spectacle est passionnant. L’image n’est et ne peut être une « illustration », car dit-on des informations que vomissent nos écrans qu’elles sont des illustrations ? Non, elles sont malheureusement le résultat d’un monde qui réagit et communique à travers ces vecteurs, d’un monde qui ne prend plus de recul. Et qui, sous prétexte d’informer est capable de plonger des êtres dans le chaos le plus absolu. C’est aussi ce que racontera le travail que nous ferons sur les traitements des images diffusées et comment, par exemple, une scène qui vient de se dérouler devant nous et les informations qu’elle a véhiculées sont alors très peu de temps après transcrites et analysées au travers du prisme des diverses chaînes télévisuelles. Le microcosme s’élargit très vite en un macrocosme qui étouffe de plus en plus les protagonistes de l’histoire.

    Cet étouffement sera accentué par le fait que, quand les protagonistes voudront échanger avec leurs confidents, ils ne pourront le faire qu’à travers des outils de communication électronique. Seuls seront présents physiquement sur le plateau Pyrrhus, Oreste, Hermione,  Andromaque et Astyanax, comme prisonniers d’un labyrinthe dont ils ne peuvent s’échapper. Toutes les autres interventions extérieures se feront à travers les divers moyens de communication (en direct sur des écrans type Skype ou virtuelles à travers des discussions type Tweeter ou Face Book). Ils feront partie d’un monde bouillonnant, tout en étant physiquement et intérieurement seuls.

    Ici la place du Chœur dans la tragédie antique, du confident dans la tragédie classique, sera remplacée par les réseaux sociaux. Pour exemple (liste non exhaustive) :

    . Acte I / Scène 3 : Le dialogue entre Pyrrhus et Phoenix se fera à travers les écrans, par un système de communication type Skype.
    . Acte II / Scène I : On verra Hermione qui est en train d’échanger des messages écrits avec Pylade.  La page de dialogue sera visible pour les spectateurs à travers le mur d’écrans. Dans cette scène Hermione agitée, en colère, et malheureuse, va aller et venir dans la pièce. Elle réagira verbalement aux messages tout en allant taper en réponse une partie de ses réflexions.
    . Acte IV / Scène I et Scène II : Hermione, désemparée, incapable de savoir ce qu’elle souhaite vraiment erre dans le Palais. Elle ira rechercher du réconfort auprès de ses amis de réseaux sociaux. Les réactions et commentaires se multiplieront, hors de contrôle, sans lui donner de solution. Il faut que l’on ait l’impression d’une multiplicité et d’une conférence mondiale désordonnée et envahissante. La machine s’emballera la conduisant à une forme de noyade psychologique et affective. Et n’est-ce pas là le sens profond de cette scène ?

    En prenant ces exemples on remarque que ces outils deviennent par cette forme d’utilisation des acteurs du spectacle, des partenaires de jeu des comédiens présents sur le plateau. Et c’est là un des grands enjeux de cette production. Tout au long du spectacle et sous diverses formes, les informations qui passeront par ses outils pourront êtres vecteurs d’action, de sens et de rebondissements. C’est à travers les écrans qu’Andromaque lors de la scène 1 de l’Acte IV écoutera Pylade (correspondant de la chaîne de la coalition) faire le compte-rendu de l’annonce par Pyrrhus de son mariage avec elle. C’est face à cela qu’elle réagira et nous annoncera sa décision de mettre fin à ses jours après son mariage. C’est enfin à son fils, et non plus à Céphise, qu’elle fera don de ses derniers préceptes tout en l’aidant à s’habiller pour la cérémonie.

    Andromaque

    Viens, mon petit garçon, viens poser sur mon sein Ce visage qui ignore tant de sombres desseins, Et accorde à ta mère cette dernière étreinte Que ne sauraient dénouer ni ma peur ni mes craintes. (Tout en l’aidant à finir de s’habiller pour la cérémonie) De l’espoir des Troyens le seul dépositaire,
    Songe à combien de rois tu deviens nécessaire.  Veille auprès de Pyrrhus ;  fais-lui garder sa foi : S’il le faut, je consens qu’on lui parle de moi ;  Apprends à tout savoir des héros de ta race,  Autant que tu pourras, conduis-toi sur leur trace : Saches par quels exploits leurs noms ont éclaté, Plutôt ce qu’ils ont fait que ce qu’ils ont été ; Souviens toi tous les jours des vertus de ton père ; Et quelquefois aussi souviens-toi de ta mère. Enfin ne songe plus, mon fils, à nous venger : Nous te laissons un maître, il le faut ménager. Garde de tes aïeux un souvenir modeste :  Tu es du sang d’Hector, mais tu en es le reste ; Et pour ce reste enfin j’ai moi-même, en un jour, Sacrifié mon sang, ma haine, et mon amour.

    Cet exemple nous montre bien cet aller-retour continuel qu’il y aura entre les personnages et les outils qui régissent ce monde. C’est bien entendu aussi une allégorie sur le « pouvoir » et sur l’enfermement dans lequel il nous plonge. On ne peut s’empêcher de penser à certaines réflexions d’Antonin Artaud et notamment à cette dernière : « Le monde en ébullition est enfer perpétuel, guerre sempiternelle jamais achevée pour vivre dans cet état de genèse, temps des hommes tous guerriers et héros ». C’est le drame de cette histoire : dans une société qui ne laisse plus la place au temps de la réflexion et de la résonance, comment imaginer pouvoir bâtir un nouveau monde ? Ici les protagonistes sont les marionnettes d’un système, tout en étant persuadés qu’ils peuvent y échapper. Jean Racine l’a compris en enlevant toute notion de polythéisme dans sa version, la nôtre qui transporte ce drame dans notre monde et dans ses enjeux politico-économiques permet aussi de mieux appréhender cette tragédie et d’en comprendre toute la complexité.

    C’est pourquoi il ne faut pas avoir peur d’utiliser nos codes actuels, de les questionner, de les distordre, pour mieux en analyser les dangers et les travers. Cette utilisation des divers outils (informations télévisuelles, réseaux sociaux, caméras de surveillance, blackberry...) est la résultante de cette immersion au sein de notre société. Depuis plusieurs années déjà les dispositifs technologiques ont envahi nos scènes, souvent au détriment du sens. Ici, nous photographions notre monde et ses rouages. Nous nous servons de ce « tout visible » pour mieux encore appréhender la nature humaine et en disséquer les tréfonds.

    La première version de l’adaptation nous montre bien la cohérence d’une telle démarche, et surtout démontre que la pertinence des propos de Jean Racine sur le pouvoir et ses abominables conséquences, est toujours d’actualité. À nous de la faire résonner dans notre monde, avec nos propres codes et nos propres outils.  Ainsi nous rejoindrons encore Antonin Artaud quand il pose son regard sur l’acte théâtral en déclarant : « L’action du théâtre comme celle de la peste est bienfaisante, car poussant les hommes à se voir tels qu’ils sont, elle fait tomber le masque, elle découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartufferie. » N’est-ce pas là tout l’enjeu d’une telle création ?
     
    Kristian FRÉDRIC
    Metteur en scène - Scénographe